Place des analogues du GLP-1 dans la stratégie de prise en charge de l’Obésité
La prévalence de l’obésité (IMC ≥ 30 kg/m²) en France d’après les dernières enquêtes dont OBEPI 2020 est de l’ordre de 17 %, soit un doublement en 2 décennies. Elle s’accompagne de nombreuses comorbidités, de handicap fonctionnel et d’un retentissement psychologique et social majeur (OBEPI 2020).
C’est un des premiers problèmes de santé publique, avec des surcouts élevés, et constituant la cinquième cause de décès à l’échelle mondiale (rapports OMS, OCDE).
Une perte de poids, même modeste, entre 5 et 15 %, peut améliorer les comorbidités de l’obésité et réduit significativement la mortalité (Thereaux, Lancet diabetol endocrinol 2019, Carlsson, NEJM 2020).
Cependant, L’obésité est une maladie chronique difficilement réversible avec les moyens thérapeutiques actuels. Les études d’intervention portant sur les modifications du mode de vie (diététique et activité physique), montrent que 1 patient sur 2 arrive à atteindre une perte de 5% à 1 an et 1 patient sur 5 arrive à stabiliser son poids à moins 10% à 5 ans (US preventive services task force, JAMA 2018).
Il existe donc un besoin médical de disposer de traitements efficaces sur la perte de poids. Les nouvelles recommandations de la HAS (2022) proposent, en d’échec de la prise en charge pluridisciplinaire bien conduite s’appuyant sur la modification du mode de vie (< 5 % de perte de poids à six mois), de débuter un traitement par analogue du GLP1 ayant l’AMM dans l’indication de l’obésité, chez les patients ayant des obésités complexes relevant des niveaux de recours 2 et 3. Il n’existe malheureusement pas à l’heure actuelle de traitement médicamenteux approprié et remboursé par l’assurance maladie, alors que l’obésité est plus fréquents dans les milieux socialement défavorisés ne pouvant supporter le cout d’un traitement onéreux (OBEBI, Santé publique France, Constance 2016, WHO rapport Europe obésité 2022).
De nombreux traitement ont été proposés dans l’obésité comme les extraits thyroïdiens, les sympatomimétiques, le dinitrophénol, les amphétamines, les inhibiteurs des récepteurs aux endocannabinoïdes, les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline, tous ayant un rapport bénéfice risque défavorable avec des effets indésirables graves, notamment cardio-vasculaires, pouvant conduire au décès. Ces dernières années, la seule molécule ayant l’AMM en France était l’Orlistat, inhibiteur des lipases intestinales réduisant l’absorption des graisses alimentaires, ayant le mérite de ne pas entrainer d’effets secondaires sévères, mais peu efficace et mal toléré sur le plan digestif, ce pourquoi il n’est plus prescrit.
Enfin, l’indication du setmelanotide (IMCEVREE®), agoniste sélectif du récepteur de MC4, est restreint à certaines formes d’obésités génétiques (Bardet Biedl, mutations sur la voie leptine/mélanocortine POMC/PCSK1/LEPR) ou hypothalamiques dans le cadre d’un accès précoce et entraine de effets secondaires non négligeables et en particulier une hyperpigmentation cutanée.
Une autre alternative est la chirurgie bariatrique, qui a démontré son efficacité à long terme sur le poids, les comorbidités et la mortalité (Thereaux, Lancet diabetol endocrinol 2019, SOS study), ainsi que la qualité de vie (R abdul Wahab, Expert Rev Endocrinol Metab 2022). Cependant, elle n’est pas indiquée chez tous les patients, du fait de ses contraintes et complications (Nuzzo, Lancet gastroenterol hepatol 2021) et elle présente malgré tout un taux d’échec non négligeable à long terme (Ansari Ob surg 2021). Enfin les techniques endoscopiques comme l’endosleeve, moins invasives, ne sont pas encore validées ni remboursées.
Depuis quelques années ont émergé les analogues du GLP-1, d’abord dans le traitement du diabète, puis de l’obésité. Le GLP-1 est en effet un peptide secrété par le tube digestif qui a à la fois un effet incrétine (sécrétion d’insuline en réponse au repas) et un effet sur la satiété (par ralentissement de la vidange gastrique et effet central sur les centres de régulation de l’appétit). De ce fait les analogues du GLP-1, permettent de faire baisser les glycémies, sans induire d’hypoglycémie, tout en favorisant la perte de poids. Il y a actuellement plus de 10 ans de recul dans l’indication du diabète de type 2. Le premier analogue du GLP-1 commercialisé à visée pondérale est le Liraglutide (commercialisé sous le nom de VICTOZA ® à la dose de 1 mg dans l’indication du diabète et SAXENDA ® à la dose maximum de 3 mg dans l’indication de l’obésité), qui s’administre en injections sous cutanées quotidiennes à dose progressive par paliers de 0.6 mg jusqu’à 3 mg par semaine, et induit une perte de poids de l’ordre de 6 % à la dose de 3 mg. Il n’est pas remboursé dans l’indication de l’obésité et est coûteux pour les patients.
Deux autres analogues, mais cette fois-ci en injections sous-cutanées hebdomadaires, ont été commercialisés fin 2024 mais ne sont pas remboursés dans l’indication de l’obésité, avec également un cout élevé. Le sémaglutide (commercialisé sous le nom d’OZEMPIC ® à la dose de 1 mg dans le diabète et WEGOVY ® à la dose maximum de 2.4 mg dans l’indication de l’obésité) a fait l’objet de plusieurs études, les études STEP, randomisées versus placebo, dans des populations avec IMC≥ 30 kg/m2 ou ≥ 27 kg/m2 avec au moins une comorbidité liée au poids, qui ont démontré son efficacité. La perte de poids était de l’ordre de 15 % en un an dans l’étude STEP 1, avec plus de 30% des patients atteignant une perte de poids > 20%, L’étude STEP 4 a montré une reprise de poids à l’arrêt du traitement, ce qui était attendu, l’obésité étant une maladie chronique nécessitant donc un traitement au long cours. L’autre analogue hebdomadaire commercialisé est le tirzepatide (MOUNJARO ®, utilisé à la dose maximum de 15 mg) est un analogue capable de se lier à la fois au récepteur du GLP-1 et au récepteur du GIP, une autre incrétine digestive. Les études précliniques ont montré qu’il favorise la sécrétion d’insuline en réponse au glucose, inhibe la sécrétion de glucagon, ralenti la vidange gastrique et augmente la satiété au niveau central. Son efficacité pondérale a été montré dans les études SURMOUNT, randomisées versus placebo dans le même type de population, avec une perte de poids de 22.5% à la plus forte dose à 72 semaines et 30 à 60 % des patients atteignant une perte de poids ≥ 20 % aux doses les plus élevées. Cependant, même s’il semble un peu plus efficace, il n’y a pas eu jusqu’à présent d’étude publiée comparant directement ses effets à ceux du sémaglutide à 2.4 mg. Comme dans l’étude STEP-4, l’étude SURMOUNT-4 a montré une reprise de poids à l’arrêt du traitement. Ces traitements ont également montré un bénéfice sur l’équilibre glycémique, ainsi que les FDR cardio-vasculaires (PAS, lipides, tour de taille, graisse viscérale) et la qualité de vie, mais seul le sémaglutide a pour l’instant démontré un bénéfice cardiovasculaire à 4 ans dans l’étude SELECT (NEJM 2023). De plus cette étude a montré l’absence d’échappement de l’effet pondéral à 4 ans.
Ces traitements nécessitent une introduction à dose progressive par paliers de 4 semaines (de 0.25, 0.5, 1, 1.7 à 2.4 mg pour le Wegovy et par palier de 2.5 mg pour le Moujaro) pour limiter les troubles digestifs (nausées, vomissements et diarrhées) qui sont les effets secondaires les plus fréquents (survenant dans environ 60 % des cas versus 30 % avec le placebo), surtout présent en début de traitement, mais conduisant à l’arrêt du traitement chez environ 10% des patients. D’autre effets secondaires ont été rapportés qui, bien que rare, doivent être mentionnés comme des pancréatites (0.2 %), lithiases biliaires (1 à 1.6%), aggravation d’une rétinopathie diabétique. Ces traitements sont contre-indiqués chez la femme enceinte notamment en raison du risque de retard de croissance fœtale. En revanche l’inquiétude sur le risque de cancer médullaire de la thyroïde n’a pas été confirmé. Leurs complications restent malgré tout nettement inférieures à celles de la chirurgie bariatrique. A noter que si nous avons un certain recul sur le semaglutide, commercialisé depuis de nombreuses années dans l’indication du diabète et ayant fait l’objet d’un accès précoce (avec délivrance hospitalière pour les formes d’obésité les plus sévères pendant 2 ans), il y a pour l’instant moins de recul concernant le tirzepatide et notamment ses effets passant par les récepteurs du GIP.
L’HAS a recommandé que la prescription de ces traitements soit réservée aux médecins spécialistes de l’obésité, en complément d’un régime hypocalorique et d’une augmentation de l’activité physique, dans l’obésité sévère (IMC> 35 kg/m²) et une règle d’arrêt en cas de perte de poids insuffisante devrait être respectée. Actuellement néanmoins, le problème du remboursement de ces traitement semble être essentiellement médico-économique compte-tenu de leur coût élevé et de la fréquence de l’obésité.
D’autres traitements médicamenteux sont à l’étude, comme les formes orales des agonistes des récepteurs du GLP-1 peptidiques ou non peptidiques (Orforglipron), des triples analogues couplées au glucagon (Retatrutide), des analogues de l’amyline (Cagrilintide), de l’oxyntomoduline ou du peptide YY, mais pour l’instant seules des études préliminaires sont disponibles et il faudra donc attendre avant de les utiliser.
En conclusion, les analogues des peptides intestinaux sont prometteurs dans le traitement de l’obésité, avec un rapport bénéfice/risque acceptable et supérieur à ceux des traitements précédemment utilisés. Il ne faut cependant pas oublier que la réponse peut être variable d’un sujet à l’autre et qu’ils nécessitent un accompagnement spécialisé pour en maximiser les effets. S’agissant de traitements au long cours, avec un coût élevé, leur place reste à définir par rapport à la chirurgie bariatrique dans l’obésité sévère.